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10 novembre 2014 1 10 /11 /novembre /2014 22:47

L’amalgame est toujours risqué


Par Aurélie Plaut

Les Trois Coups.com


Comment ressusciter les poilus ? Comment donner à entendre l’horreur de la guerre ? Didier Brice propose au public montargois de rejoindre la vie poisseuse des tranchées en écoutant les souvenirs d’Henri Laporte. Un seul en scène à bien des égards réussi, mais qui peine à nous émouvoir.

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« Journal d’un poilu » | © David Dessites

Qu’il est intéressant le témoignage direct de ceux qui vivent les conflits ! Combien est-il nécessaire de faire entendre la voix des soldats qui, uniquement, peut permettre de toucher du doigt l’horreur ! Qu’il est indispensable le « devoir de mémoire » auprès des générations qui n’ont pas subi le bruit assourdissant des bombardiers et l’écho lointain des obus ! Pour toutes ces raisons le Journal d’Henri Laporte, jeune homme d’à peine vingt ans, est utile. Il vaut à lui seul bien des heures d’un cours d’histoire. On comprend à écouter le texte toute l’ambiguïté d’une personnalité qui bascule sans cesse de l’enthousiasme à l’effroi.

Lorsqu’il rejoint le front en avril 1915, Henri est heureux. Il est animé d’une foi indéfectible en sa patrie. Il « débarque » le sourire aux lèvres. La longue route qui le conduit du dépôt du 151e régiment d’infanterie de Quimper au combat lui permet de découvrir les joies des campements. La bonne humeur est palpable. Il lui faut vivre le massacre de ses copains de tranchée pour enfin « comprendre c’que c’est qu’la guerre ». La force de ce texte poignant réside sûrement dans l’incroyable chance de cet homme qui échappe à plusieurs reprises à la mort. Il avait sans conteste une « bonne étoile » au-dessus de sa tête…

Un monument aux morts des plus vivants

Sur le plateau, lorsque le rideau s’ouvre, le spectateur découvre un monument aux morts. Une statue s’en détache : celle d’un poilu, tenant d’une main une branche, de l’autre un drapeau. Certains se laissent tromper. Ils attendent l’entrée en scène du comédien. Il est vrai que Didier Brice ne bouge pas d’un poil. Son corps ne fait qu’un avec l’obélisque. Il est entièrement prisonnier de son costume rigide et poussiéreux. Vingt minutes durant, le personnage raconte, sans remuer autre chose que la bouche. Une statue vivante qui va peu à peu s’animer sous nos yeux pour bientôt s’extirper de la matière minérale. Le soldat prend vie. Sur la pierre, des figures fantomatiques sont sculptées. Des visages sans traits, impersonnels, qui apparaissent par un jeu de lumière réussi. Cette voix qui résonne est celle de tous ceux qui, un jour, sont « tombés pour la France ». La parole devient universelle. Elle traverse les âges et les frontières.

L’adaptation de Didier Brice présente plusieurs instants de la vie d’Henri Laporte : l’embrigadement, le combat, la perte des compagnons d’armes dans une douleur indicible, le pied de nez à la mort à plusieurs reprises, la surprise d’être toujours vivant. On pense évidemment à tous ces mots qu’on a lus, ceux qui disent la peur qui tenaille, la crainte de ne pas voir le lendemain. Les transitions entre les « tableaux » se font par le noir absolu et la diffusion d’une bande-son. Sont tour à tour évoqués les grands conflits du xxe siècle – 1914-1918, 1939-1945, l’Algérie – à travers des documents d’archives qui nous plongent dans le passé. Et puis, Mai 68 et ses barricades, la rencontre de François Mitterrand et d’Helmut Kohl en 1984, les luttes écologistes, le 11 septembre 2001. Dès lors, on s’interroge sur le bien-fondé de placer ces évènements côte à côte. Toutes les guerres de l’Histoire qu’elles se fussent déroulées près ou loin, oui. Elles se ressemblent parce que l’horreur est invariablement la même. Le combat de 1968 et celui des écologistes, non. Cela ne relève pas de la même chose. Nous pourrions essayer de légitimer ce choix en disant que la Grande Guerre était existante dans l’esprit des manifestants des rues parisiennes, mais encore fallût-il donner au public les clés de lecture d’un phénomène complexe. Ce spectacle se veut pédagogique – il l’est –, mais sur ce dernier point, le discours que souhaite véhiculer le metteur en scène n’est pas clair. L’amalgame est toujours risqué. Gardons-nous de rapprocher des évènements sans nous justifier.

Une émotion qui ne monte pas…

Quinze ans se sont écoulés depuis la première. Plus de 700 représentations, et d’après Didier Brice, l’envie de jouer est à chaque fois présente. Pourquoi diable ne ressent-on pas la même chose que d’autres, en d’autres lieux ? On est au fait qu’une des très grandes difficultés du jeu théâtral réside dans la capacité du comédien à « découvrir » le texte chaque soir, à l’interpréter comme si c’était la première fois. Ne pas tomber dans le jeu mécanique. Ne pas user de « trucs et astuces » que l’on sait efficaces parce qu’ils ont déjà fonctionné, mais au contraire goûter les mots. C’est cela l’enjeu du théâtre, a fortiori celui de l’intime. Pour que la magie opère, la sincérité est de mise. N’oublions pas que les phrases entendues hier sont celles d’un homme « vrai ». Pas ceux d’un personnage de fiction. L’abandon, le lâcher-prise sont indispensables à la naissance de l’émotion. Malheureusement, ici et maintenant, on ne sent pas le frisson monter. Pourtant, Didier Brice possède les qualités requises : c’est un bon professionnel – il est capable de composer les jeunes combattants de 19 ans même s’il en a 50 –, sa diction est impeccable, son regard parfois pénétrant, son visage expressif.

Quel dommage qu’il faille attendre la fin des applaudissements pour vibrer ! Précisément à cet instant où l’interprète quitte son costume, où il redevient lui-même et où il nous livre un « bonus » : l’anecdote que lui a confiée la fille d’Henri Laporte à l’occasion d’un dîner. Un moment de la vie de son père alors chef de gare à la gare du Nord. On est en 1940, Paris est occupée. Avec son meilleur ami, ils font de la résistance à leur niveau : ils aiguillent mal les trains allemands, les font partir en retard jusqu’au jour où la Gestapo s’en aperçoit. Ils sont convoqués rapidement. La sentence tombe : l’un d’eux sera fusillé sous les yeux de l’autre. C’est l’ami d’Henri qui est désigné… Encore une fois, il échappe à la mort. Toute sa vie, il gardera le « sifflet » de son ami dans sa poche. Personne n’en savait rien. C’est le jour de son décès à la fin des années 1980, quand sa fille le prépare à l’inhumation, qu’elle trouve ce petit objet dans un pantalon. Oui, à cet instant, on se laisse emporter. Parce que c’est joli, émouvant et surtout parce que ces mots sortent de la bouche de Didier Brice comme dans un souffle… celui de la confidence. 

Aurélie Plaut


Journal d’un poilu, d’Henri Laporte

Éditions Mille et une nuits

Adaptation et mise en scène : Didier Brice, Stéphane Cabel

Avec : Didier Brice

Production : Didier Brice

Compagnie Ki m’aime me suive

Le Tivoli • 2, rue Franklin-Roosevelt • 45200 Montargis

Réservations : 02 38 95 02 15

Du 6 novembre au 7 novembre 2014

Durée : 1 h 20

19 € │ 15 € │ 12 €

À partir de 11 ans

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5 octobre 2014 7 05 /10 /octobre /2014 19:09

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30 septembre 2014 2 30 /09 /septembre /2014 13:39

Bienvenue à bord !


Par Aurélie Plaut

Les Trois Coups.com


Pour sa dernière création, Christophe Lidon s’attaque à « la Tempête », ultime opus de William Shakespeare. Son parti pris résolument moderne embarque le public pour une croisière qui tient ses promesses : féerie, complots, coup de foudre sont au rendez-vous jusqu’au « happy end ». Une œuvre majeure du répertoire anglais interprétée par de talentueux comédiens.

theatre2-reduit

Bienvenue moussaillons à bord de la salle PierreAimé‑Touchard du Théâtre d’Orléans ! La durée du voyage est de une heure quarante-huit minutes !Une voix anglaise tout droit sortie d’un haut-parleur s’élève. Parmi le public, la troupe des marins « débarque », paniquée. Ils interpellent leur capitaine, vêtu d’une marinière à la JeanPaul Gaultier. Son look est proche de celui des Village People. Le ton est donné : ce Shakespeare-là promet quelques surprises derrière le rideau rouge encore fermé.

Tout d’abord, l’intrigue : Prospero (Alain Pralon), duc de Milan, est victime d’une conspiration orchestrée par son frère Antonio (JeanMarie Lardy). Il se retrouve avec sa fille Miranda (Sarah Biasini) prisonnier sur une île déserte où il vit entouré de deux « esclaves » : Ariel (Maxime d’Aboville), l’esprit des airs, et Caliban (Dominique Pinon), descendant maléfique d’une sorcière. Une nuit, Prospero le magicien déclenche une tempête qui fait échouer le vaisseau de ses ennemis : Alonso (Joël Demarty), roi de Naples, et son fils Ferdinand (Adrien Melin), Sébastien (Jacques Fontanel), Antonio, l’usurpateur du duché milanais, et deux serviteurs, Trinculo (Denis Berner) et Stephano (Joël Demarty encore). Se déroule alors sous nos yeux une course contre le temps : vingt-quatre heures pour tout résoudre et retrouver sa place légitime.

Dernière œuvre dramatique de Shakespeare écrite en 1611-1612 alors qu’il s’est retiré à Stratford, la Tempête est un véritable testament. Bien différente des autres tragi-comédies, elle se rapproche des tragédies françaises du xviie siècle, par le respect de la règle des trois unités notamment. Témoin d’une époque, celle de la Renaissance, l’auteur y aborde toutes les grandes questions humanistes (le discours de Prospero sur Caliban le « sauvage » est de ce point de vue sans équivoque) et fait de Prospero une métaphore du dramaturge.

Qu’on imagine difficile la tâche qui consiste à faire du neuf avec du vieux ! Pourtant Christophe Lidon tire son épingle du jeu. Les choix scénographiques ne sont certes pas originaux – le dépouillement, on en conviendra, a plutôt le vent en poupe – mais ils opèrent. Une estrade ronde, d’un blanc immaculé, représente l’île déserte et son climat hostile. Elle flotte sur un espace scénique-océan. Une lune pleine veille sur les personnages. Enfin, le mur de la grotte de Prospero se mue en falaise par le truchement d’un mécanisme de rail placé autour de l’estrade. Bref, ces petits riens suffisent à rendre l’atmosphère magique. Les effets de lumière de MarieHélène Pinon, quant à eux, sont superbes : les éclairs se déchaînent, figurant ainsi la colère d’un Prospero capable de maîtriser les éléments. Plus tard, une lueur jaune, sorte de feu follet ou d’aurore boréale, indique au public l’imminence de l’intervention d’Ariel, cet être cabotin à la tenue « glitter ». Au fil du spectacle, on se surprend à chercher les références cinématographiques convoquées par la scénographie. Alors, lorsque deux « monstres » aux doigts crochus et au visage difforme entrent en scène, on comprend soudainement que l’ombre de George Lucas plane sur le plateau : les costumes, les vidéos suggérant le voyage dans l’espace, le bâton de Prospero sorte d’ersatz de sabre laser, tout rappelle l’univers de Star Wars de manière subtile et efficace. La mise en scène de Christophe Lidon nous transporte dans un autre espace-temps où règne un exotisme tour à tour archaïque et futuriste.

Des comédiens « force 10 »

Le décor lunaire favorise la mise en valeur du jeu des comédiens. La distribution est d’une grande qualité. Le couple Miranda (Sarah Biasini)-Ferdinand (Adrien Melin) agit à merveille. La réaction de l’une et de l’autre à l’instant « magique » (au sens propre et figuré ici) de leur rencontre est émouvante. Les corps s’entrelacent, les regards pétillent : oui, l’amour est bien là. Second duo, tempétueux cette fois : celui des serviteurs de Prospero. Maxime d’Aboville (Ariel) est éblouissant. Son physique androgyne lui permet de virevolter, de tournoyer, de traverser le plateau comme le ferait un petit fantôme de cartoon. D’une énergie folle, ce jeune comédien rayonne. C’est lui la révélation de ce spectacle ! Dominique Pinon est aussi fort juste dans le rôle du monstrueux Caliban. Sa voix rauque, ses soubresauts, son costume à écailles noires, son manteau en peau de bête, ne sont pas sans évoquer Gollum, la créature répugnante de J.R.R. Tolkien. Et lorsqu’il s’associe aux truculents Joël Demarty et Denis Berner (Stephano et Trinculo), le comique est au rendez-vous. Bien sûr, Alain Pralon participe de cette fougue déployée tout au long du spectacle. Son personnage passe ainsi de la douceur à la fureur avec aisance. Dommage seulement qu’il faille tendre l’oreille (même quand on est placé au quatrième rang…) pour entendre son texte… Hormis ce bémol, il aisé de se laisser voguer et de profiter du voyage. 

Aurélie Plaut


La Tempête, de William Shakespeare

Traduction et adaptation : Michael Sadler

Adaptation et mise en scène : Christophe Lidon

Avec : Sarah Biasini, Maxime d’Aboville, Denis Berner, Joël Demarty, Jacques Fontanel, JeanLoup Horwitz, JeanMarie Lardy, Adrien Melin, Dominique Pinon, Alain Pralon

Décors : Catherine Bluwal, assistée de Françoise Henry

Création lumière : Marie Hélène Pinon, assistée de Lucie Joliot

Vidéo : Léonard

Costumes : Chouchane AbelloTcherpachian, assistée de Johanna Elalouf

Peintures textiles : Catherine Jahan

Couture : Fatima Azakkour

Son : Christophe Sechet

Assistance à la mise en scène : Natacha Garange

C.A.D.O. /Théâtre d’Orléans • boulevard Pierre-Ségelle • 45000 Orléans

Réservations : 02 38 54 29 29

Du 26 septembre au 12 octobre 2014 :

– Les mardi 30 septembre et 7 octobre : 20 h 30

– Les mercredi 1er et  8 octobre : 19 heures

– Le jeudi 2 octobre : 20 h 30

– Le jeudi 9 octobre : 19 heures

– Les vendredi 26 septembre, 3 et 10 octobre : 20 h 30

– Les samedi 27 septembre, 4 et 11 octobre : 20 h 30

– Les dimanche 28 septembre, 5 et 12 octobre : 15 heures

Durée 1 h 50

35 € │ 33 € │ 31 € │ 12 €

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